Le moment de l'histoire 

Ou quand l'adulte lit à voix haute pour les enfants

Depuis toujours, ce moment d'échange entre grands et petits est un plaisir de la vie. A l'école aussi, c'est la plus belle manière de transmettre ce que donnent les livres. Tous les pédagogues préconisent aujourd'hui d'instaurer chaque jour, pour tous les âges, ce temps suspendu, joliment nommé par Mireille Brigaudiot « le moment de l'histoire ».

«  Le moment de l'histoire », c'est quoi ? C'est l'adulte qui chaque jour, selon un rituel bien organisé, à un vrai moment de la journée, lit à voix haute un livre aux enfants, quel que soit leur âge, de trois ans à toujours ! Ce peut être un album, un livre sans images, un livre illustré. On ne sait jamais ce que les enfants prennent d'un récit qu'ils entendent ou d'une scène qu'ils voient, et c'est tant mieux ! Ce moment peut rester le jardin secret des enfants. On cherche seulement, mais c'est beaucoup, à ce qu'ils aient envie de vivre cette rencontre entre eux et le récit.

  Ainsi, il s'agit de permettre aux enfants de

•  lire des livres et non des extraits ou des photocopies

•  comprendre le langage écrit, pour apprendre à lire

•  créer une culture partagée

•  exprimer leur sensibilité

•  comprendre la complexité du monde et des hommes

•  bousculer des routines langagières

•  grandir en se questionnant

•  mieux se connaître et s'estimer !

 

Il s'agit de les baigner dans les richesses littéraires offertes par les livres, de les mener vers la complexité langagière, plutôt que de leur faire faire des exercices à trous ! Les livres ne devraient jamais dégoûter les enfants de la lecture par des batteries d'exercices sur le fonctionnement de la langue, très éloignées de l'objectif visé.

1•  Généralités
2• Aider à la compréhension : avant la lecture / pendant la lecture / après la lecture
3• Pour les enfants prioritaires

L'adulte est un médiateur culturel et, face à l'industrialisation du livre de jeunesse qui tend à uniformiser les imaginaires, il doit proposer aux enfants des lectures riches et variées, choisies pour   les aider  à mieux se connaître, à réfléchir sur le monde, à rêver. C'est pourquoi l'école doit proposer des ouvrages résistants, qui font « bouger dans la tête », de véritables albums de jeunesse avec de vrais problèmes de compréhension. Et c'est l'adulte qui, en offrant ces histoires, aide l'enfant à apprendre le monde.

Pour vous aider dans vos choix, quelques sites :

www.eduscol.education.fr
progmaternelle.free.fr       

  • Choisir, de temps en temps, de raconter une histoire sans support écrit.
  • A partir de 7 ans, on peut introduire des lectures-feuilletons (des textes plus longs, qui ne seront pas lus dans leur totalité en une seule séance, mais induiront des rappels de récit faits par les enfants).
  • A partir de 8 ans, une fois par semaine, ce moment de l'histoire peut être pris en charge par un enfant de la classe : il a choisi un livre qu'il aime et il s'est préparé à le lire aux autres, ou à le raconter (les deux sont possibles, mais il faut veiller à ce que tous, même les non ou faibles lecteurs, puissent avoir leur tour et leur occasion de réussite).

•  Privilégier des lectures en réseaux, qui permettent de tisser des liens de lecture en lecture et d'améliorer les stratégies de compréhension.

 

•  Choisir des thèmes qui concernent les enfants : la vie affective et les relations (familiales, sociales, amicales ; grandir ; être ou ne pas être un héros...)

•  Alterner les genres et les modes d'écriture : contes, contes détournés, contes de fées ; histoires à suspense, histoires policières, histoires d'aventures ; histoires d'amitiés, histoires d'amour. Ecriture à la 3e personne, à la 1re personne ; narrateur extérieur à l'histoire, narrateur-personnage ; histoires racontées au passé (passé simple / passé composé) / histoires racontées au présent   ...

•  Alterner albums / histoires illustrées / histoires sans images. Dans le cas des albums, réfléchir à la relation entre texte et illustrations et aux modalités de présentation - et de commentaire - des images.

•  Penser à demander régulièrement aux enfants s'ils veulent réécouter une histoire déjà entendue.

Ne pas tomber dans des choix faciles : Titeuf, Martine.... L'école n'est pas le supermarché, la télévision ou la maison et doit au contraire proposer des œuvres fortes ! Il faut être ambitieux et préférer des textes donnant lieu à des partages d'expériences humaines fortes.

2. Aider à la compréhension : avant la lecture / pendant la lecture / après la lecture

D'une manière générale, il faut penser à tout ce qui peut être un obstacle à la compréhension, et lever les obstacles avant la lecture.

Avant la lecture

•  expliquer qu'écouter les histoires, et essayer de comprendre, ça apprend aussi à mieux lire tout seul, comme ils le feront quand ils sauront lire tout seuls.

•  veiller à la rigueur du vocabulaire de travail : "raconter" et "lire" sont deux activités différentes, ne jamais employer l'un pour l'autre.  " Je vais vous lire XXX, et vous , vous allez bien écouter pour vous faire des images dans votre tête pendant la lecture, et on parlera de l'histoire après"

•  créer un horizon d'attente : choisir la manière dont on parle de l'histoire avant de la lire, pour que chaque enfant ait des attentes précises qui vont lui permettre de construire du sens.

Pour cela, on peut

•  mentionner le genre (un conte, une histoire amusante, une histoire policière, une histoire qui joue à faire peur, mais heureusement elle finit bien ...)

•  clarifier le vocabulaire ("il y a des mots que vous ne connaissez peut-être pas", faire expliquer ou donner un synonyme par un enfant ou par l'adulte)

•  présenter brièvement le personnage principal et annoncer le problème qui va se poser

•  présenter le cadre (temps et lieu)

•  résumer l'histoire en quelques mots (en annonçant éventuellement une fin surprenante, mais bien sûr sans la dévoiler ...)

Bien des présentations sont possibles, tout est à moduler en fonction du livre et des lecteurs.

Pendant la lecture :

•  Faire une lecture expressive ! Théâtraliser ! C'est ce qui permet aux élèves de construire la signification.

•  Tant que tous les enfants ne sont pas lecteurs, lire en faisant coïncider : yeux sur les lignes // voix qui oralise la lecture // éventuellement doigt qui suit le texte)

• Le plus souvent : ne pas interrompre la lecture, sinon éventuellement pour s'arrêter brièvement sur les implicites qu'il faut comprendre (=> les expliciter, en arrêtant visiblement sa lecture) et/ou sur les "nœuds" du récit. Il s'agit de trouver la mesure, en évitant deux écueils : ne jamais s'arrêter, et courir le risque que les enfants décrochent ; s'arrêter trop souvent ou trop longtemps, et leur faire perdre le fil.

  Avant de reprendre une lecture interrompue, demander à un enfant de raconter « où on en est resté de l'histoire ? »

Après la lecture

•  Laisser un "blanc" pour que les enfants comprennent que l'histoire est finie et achèvent de "faire du langage intérieur" avec elle. On peut toujours commencer par une question très ouverte : Qui veut dire quelque chose à propos de cette histoire ?

•  Laisser s'exprimer les avis personnels : Comment vous l'avez trouvée, cette histoire ? Qu'est-ce que tu as aimé dans l'histoire? Qu'est-ce que tu n'as pas aimé ? Est-ce que vous avez préféré cette histoire à celle que je vous ai lue hier ? Est-ce que le renard de ce conte ressemble au renard de tel autre conte ? ....

•  Prévoir des questions visant à assurer la compréhension de points essentiels : A votre avis , pourquoi le chacal a dit XXX au renard, alors que c'est faux ?

Si le maître demande aux enfants « à votre avis .... », c'est bien pour accepter des réponses variées et qui peuvent être différentes de celle qu'il a dans la tête. On sait que, sur le même roman, des adultes cultivés ont souvent des interprétations différentes : les enfants aussi ! Tant que leurs réponses restent liées au thème, on doit les accepter et laisser la discussion s'installer. Il n'y a jamais une seule bonne réponse à la question : il faut toujours prendre le point de vue de l'enfant et comprendre sa logique. Cependant, il ne faut pas laisser passer une erreur manifeste sous prétexte de liberté d'interprétation.

Si possible, laisser le livre, ou plusieurs exemplaires, à disposition dans la classe. C'est même indispensable. 

3• Pour les enfants prioritaires

Certains enfants sont en difficulté lors du moment de l'histoire (concentration, compréhension, manque d'images mentales, etc..). Il est impératif de prévoir des modalités de travail leur permettant de surmonter leurs difficultés avant la lecture faite par l'adulte. Ceci doit être fait lors de moments privilégiés, en groupe de besoin, pas forcément institutionnalisé dans la classe.

avant la lecture :

Raconter (donc sans support écrit) l'histoire  à ces enfants-là avant de la lire à toute la classe. Pour une fois, ils seront en avance sur les autres !

Faire des liens avec des histoires déjà lues, déjà comprises.

Les aider à se représenter mentalement, à voir un film dans leur tête.

Travailler l'anticipation et les relations de causalité.

Montrer les images si ça aide à la compréhension.

pendant la lecture :

Les placer près de soi, et pourquoi pas à côté de soi.

Vérifier discrètement que " ça prend"!

après la lecture :

Etre attentif à leur participation pendant le débat, la susciter si besoin.

Vérifier leur compréhension par un rappel de récit, un dessin, une discussion en petit groupe.

Leur laisser le livre à eux.

L'enfant sera lecteur s'il est convaincu que les livres lui parlent, à lui, de lui (de lui tel qu'il est, avec ses peurs, ses doutes, ses plaisirs ; de lui tel qu'il voudrait être, un "moi héroïque"), qu'ils l'aident à vivre (à rêver, à éprouver des émotions) ... Il faut donc favoriser une implication personnelle dans les livres (faire dessiner tel ou tel personnage ou tel ou tel scène de l'histoire, encourager chaque enfant à faire des liens entre l'histoire et sa vie / et LA vie ) :

Est-ce que tu trouves que le personnage te ressemble ? Ressemble à quelqu'un que tu connais ? ---- Est-ce que tu aimerais avoir le personnage pour ami ?    -----      Est-ce que tu voudrais vivre ce qu'il a vécu ?    ----    Qu'est-ce que tu aurais fait, à sa place, quand ... ?    ----    Est-ce que, à ton avis, l'histoire pourrait se passer pour de vrai ?    

Bonnes lectures ! Vous pouvez nous faire part de « vos moments de l'histoire ».